18/10/2021
Les ondes perturberaient le comportement des abeilles et causeraient leur perte. Qu'en est-il vraiment ?
Il s'agit d'une question scientifique, ou comment les champs magnétiques interagissent avec le vivant. Le débat de l'impact des ondes 4G ou 5G sur le cerveau humain est difficile à trancher... alors sur les insectes et les abeilles en particulier... que peut-on dire ? Sont-elles réellement dangereuses? Les ondes représentent-elles un risque?
En préambule :
J'ai donc choisi de vous présenter le fruit de ma petite expérience d'apiculteur et surtout, les résultats de mon analyse de quelques études scientifiques sur le sujet (méta-étude). Donc des faits, rien que des faits, avec ma conclusion tranchée ...ou non:), sans opinion, sans à priori... juste avec ma fâcheuse habitude d'être guidé par le doute.
Pour celles et ceux qui veulent me faire confiance (la confiance n'empêche pas le contrôle...), pour ceux qui n'ont pas le temps de lire mon analyse, voici ma conclusion. Mais vraiment, lisez la suite....
Conclusion après analyse de quatre études scientifiques représentatives : Les ondes ont un effet biologique et physiologique sur les abeilles lorsqu'elles y sont exposées de manière hyper intense et continue, ce qui n'est pas le cas dans leurs conditions de vie réelle. Ces études ne prouvent pas que les ondes électromagnétiques participent au syndrome d'effondrement massif des colonies d'abeilles.
Protocole utilisé:
Analyses :
1) «Impact of mobile phones on the density of honeybees » (Ref 1), étude de 2009, Sainudeen Sahib S. Dpt of Zoology, S.N. College, Kerala, India
Je démarre par cette étude qui est souvent référencée dans d'autres études scientifiques, et dont on retrouve très fréquemment sur le WEB la citation que voici :
« Il a été constaté dans une expérience, que lorsque le téléphone mobile était maintenu à proximité d'une ruche, cela avait entraîné l'effondrement de la colonie dans les 5 à 10 jours, avec des ouvrières incapables de rentrer chez elles, laissant seules les ruches avec des reines, des œufs et des abeilles encore immatures (Sahib Pattazhy 2009) ».
Je me suis procuré cette étude. Malheureusement elle ne répond pas à mes critères de qualité. Je ne l'aurais donc pas analysée si elle n'avait pas une telle emprunte WEB, et si elle n'était pas si succincte. La seule version que j'ai trouvée tient sur 2,5 pages et, curieusement, elle ne semble plus considérée comme valable (« RETRACTED » inscrit en travers des pages) par academicjournals.org qui l'hébergeait (cf ref (1)) ; Je leur ai demandé la raison mais n'ai pas de réponse à ce jour:
J'en conclue que cette étude n'est pas assez précise et objective pour faire la moindre conclusion. Est-ce pour cette raison qu'elle a été retirée ? J'ai posé un série de questions à son auteur, par e-mail, à plusieurs reprises, sans obtenir de réponse. Je suis très étonné que les conclusions de cette étude soient reprises dans d'autres études, comme dans l'étude qui suit par exemple .
2) « Mobile phone-induced honeybee worker piping » (Ref 2), étude de 2011, Daniel Favre, Scientific collaborator in the Laboratory of Cellular Biotechnology (LBTC)
Je trouve cette étude remarquable dans le sens où elle répond à un protocole que j'estime solide, avec des explications claires et chiffrées. Elle propose d'étudier le dérangement causé aux abeilles en analysant le bruit qu'elles émettent au contact des ondes. En voici une brève analyse après lecture approfondie:
Extraits de la synthèse d'accroche en tête de l'étude, « l'abstract » :
J'ai presque envie de m'arrêter là car cette introduction décrédibilise à mes yeux la justesse de l'étude . Pourquoi des scientifiques ont-ils tendance à présenter leurs études, qui me semblent de grande qualité par ailleurs, avec le biais de leurs « croyance »/ « combats » ?
Je vous passerai donc les détails mais l'étude montre en effet qu'après 30 minutes de communication continue entre les deux téléphones (qui à eux deux ne dépassent pas le seuil d’absorption d'énergie autorisé par les autorités) ... vous avez bien lu 30 minutes ... on note une augmentation des bruits émis par les abeilles tant par la fréquence que par l'amplitude. Deux à trois minutes après la fin de la communication le calme revient . En tant qu'apiculteur, même si j'essaye d'ouvrir le moins possible les ruches, et avec le plus de délicatesse possible, je peux vous assurer que je les dérange et qu'au moindre geste déplacé elles font beaucoup de bruit. Comme l'auteur a l'honnêteté de tout présenter, il reconnaît que son étude n'est pas suffisante, mais il est quand même tenté de supposer qu'il n'est pas impossible, qu'en raison des ondes, les abeilles désertent la ruche et meurent, même s'il admet que cela ne s'est pas produit dans son expérimentation, même après 20 heures d'exposition continue aux téléphones en conversation à l'intérieur d'une ruche. Il s'autorise ce possible raccourci en faisant référence à une autre étude qui l'aurait démontré, et cette autre étude s'avère être celle de Sainudeen Sahib S analysée ci-dessus...
Ma conclusion rejoint en partie celle de l'auteur: Les ondes magnétiques ont un impact sur le comportement des abeilles, elles ont une « incidence biologique ». Là où je ne suis pas convaincu, faute de preuve, c'est que les ondes électromagnétiques, au niveau réel d'exposition des abeilles, réduisent la durée de vie des colonies ,et même participent à leur disparition massive.
3) « Mobile phone radiation induces sedation in Periplaneta americana » (Ref 3), étude de 2017, P.R Syalima, Rameesa Raseek and D.A. Evans, Department of Zoology, University College, India.
Cette étude sur les blattes répond à mes critères de « sérieux ». Elle ne parle pas des abeilles mais elle est utilisée par ceux qui disent que les abeilles disparaissent à cause des ondes.
Les auteurs commencent par décrire l’observation d'effets mesurés en terme d'augmentation ou de réduction de substances chimiques « x » ou « y » dans le corps des blattes suite à une exposition aux ondes électromagnétiques, avant de conclure leur introduction avec la phrase choc suivante :
« Cette étude a révélé que l'exposition constante aux ondes électromagnétiques émises par les téléphones mobiles peut induire des effets considérables (« widespread effects » dans le texte) sur le cerveau, les neurones, les cellules en développement ainsi que sur le système enzymatique ».
ça fait peur, même si les auteurs ont l’honnêteté de parler d'exposition « constante », ce qui n'est pas le cas dans la vie réelle, et prennent la précaution de l'incertitude en écrivant « peut induire »... ce qui n'est pas certain.... mais ils auraient pu ajouter que ces effets sont sur les blattes... et pas forcément sur l'homme. Bref, à nouveau et malheureusement , je trouve cette étude biaisée par l'opinion des auteurs. Auteurs qui continuent ainsi : « même s'il existe de nombreux rapports (non cités par les auteurs) sur les effets néfastes des ondes électromagnétiques (entendu sur l'humain), il n'y a pas suffisamment d'études expérimentales pour le démontrer. C'est la raison pour laquelle nous avons conduit quelques études basiques sur les effets des ondes électromagnétiques émises par les téléphones mobiles sur Periplaneta americana ». En reconnaissant le manque de preuves, et la volonté d'en apporter au travers de cette étude, mes attentes sont grandes. Enfin je vais comprendre.
Après avoir lu l'intégralité de l'étude je ne m'étendrai pas au-delà du protocole puisque là encore, il ne reproduit pas les conditions d’existence réelle : Les blattes sont enfermées dans une boite fermée de 30cm sur 18cm, avec le téléphone récepteur à l'intérieur.
La démarche est cependant scientifique et je me dois d'en rapporter ses conclusions, avec toutes les pincettes nécessaire en raison des conditions dans lesquelles a été faite cette expérience :
Cette étude sur les blattes établit une perte d’énergie chez les insectes exposés à des temps de communications téléphoniques importants. En parallèle, les enzymes des corps gras de la blatte vont augmenter en réponse à un stress extérieur et la quantité de déchets va aussi augmenter dans l'organisme. Enfin, l’agent qui transmet l’information au niveau neurologique est bloqué. Cette expérience démontre donc un certain stress cellulaire induit par l'exposition continue aux ondes.
Là où je suis surpris, c'est quand les auteurs se mettent à extrapoler lors de leur conclusion d'étude. Jusqu'à clamer que leur expérience a démontré que les ondes électromagnétiques provoquaient la disparition des abeilles. Je ne comprends pas, et voilà la manière dont ils amènent la chose :
« D'après Sainudheen 31,32, les Ondes électromagnétiques altèrent le sens de l'orientation des abeilles et les abeilles ouvrières sont incapables de retourner à leur ruche (tiens tiens... ils font référence à la première étude dont j'ai parlé...) […] La construction de stations d'antennes relais a provoqué l'effondrement des colonies d'abeilles dans les environs. Ce phénomène est appelé le « syndrome d'effondrement des colonies ». La présente étude (ndla :donc la leur, sur les blattes) a apporté des évidences, sur une base physiologique, au syndrome d'effondrement des colonies. »
Comment peuvent-ils établir un lien entre ces deux études et bâtir des liens de cause à effet nullement prouvés? Je n'ai rien vu dans l'étude présente qui permette une telle affirmation.
Ma conclusion est la suivante : Les ondes magnétiques ont un impact sur le comportement des blattes, elles ont une « incidence physiologique ». Là où je ne suis pas convaincu, faute de preuves, c'est que les ondes électromagnétiques, au niveau réel d'exposition des abeilles, réduisent la durée de vie des colonies et même participent à leur disparition massive.
J'ai eu du mal à accéder à d'autres études et il est intéressant de voir comment, sur la toile, de nombreux articles utilisent les quatre études que j'ai analysées pour expliquer que les ondes électromagnétiques émises par les téléphones mobiles anéantissaient les abeilles.
J'ai bien trouvé trace de travaux expérimentaux conduits en 2005 par une équipe de l'Institut Informatique Educatif de l'Université de Landau, à Coblence, Allemagne. Cependant, ils mettent en cause les radiations émises par les téléphones sans fils (DECT), pas certain que ce soit applicable aux téléphones mobiles. J'ai quand même analysé cette étude car elle est également souvent citée sur le WEB.
4) « Modifications du comportement des abeilles sous l'effet d'exposition électromagnétique » (Ref 4), étude pilote de 2005, Université de Koblenz – Landu
Etude que je trouve de très grande qualité, avec un protocole clair et solide ainsi que des explications détaillées sur les conditions d'expérimentation. De mon humble avis cette étude ne souffre d'aucun biais d'opinion, au contraire des trois précédentes.
Cette étude n'analyse pas les ondes émises par nos téléphones portables (GSM) mais par les téléphones sans fil (DECT). les fréquences DECT sont de 1880-1990 MHz alors que celles de nos téléphones portables sont plutôt de 900 MHz, tandis que la fréquence émise par les abeilles qui vibrent lors de la danse d'orientation est de 200 à 300 Hz. Mais poursuivons.
Bien que le protocole soit solide, l'expérience ne reproduit malheureusement pas les conditions réelles puisque la station DECT est placée dans la ruche et le téléphone à l'extérieur, comme dans l'expérimentation de Daniel Favre où les téléphones sont placés à l'intérieur. Elle met cependant en lumière des impacts :
J'en conclue que les ondes électromagnétiques des téléphones DECT ont un impact sur le comportement des abeilles. Cependant, cette étude ne montre pas que les ondes électromagnétiques, au niveau réel d'exposition des abeilles, réduisent la durée de vie des colonies et même participent au phénomène d'effondrement massif des colonies.
Conclusion générale:
La tendance à la méfiance du « progrès » d'une partie de la population (vaccins, mouvements anti 5G) d'un côté , et les enjeux économiques portés par des acteurs puissants (opérateurs, fabricants, l'état) d'autre part, sont autant de motifs de voir des débats tronqués et radicalement opposés, comme sur le nucléaire .
Pour autant les personnes sensibles aux ondes semblent être reconnues comme impactées. Pourquoi les abeilles ne le seraient pas aussi ? Le doute est permis, mais est il fondé ?
Les études sont souvent commandées et financées (je ne me suis pas intéressé à cette question pour les quatre études analysées) et les commanditaires quels que soient les bords, induisent souvent les résultats puisqu'ils sont souvent tenants d'une position dans le débat.
Pour ma part, je dirais qu'il est plausible que l'exposition intense et prolongée des abeilles aux ondes électromagnétiques (ce qui n'est pas le cas dans leur condition de vie réelle) écourte leur durée de vie, au même titre que d'autres facteurs déjà identifiés comme les prédateurs (varroa, frelon asiatique...) , les pesticides, la réduction des espaces naturels, l'apiculture intensive etc... reste à savoir dans quelle proportion, même si les études précitées m'incitent à penser (c'est plus une opinion documentée qu'un fait avéré je l'avoue) que dans des conditions de vie normales des abeilles, les ondes ont un effet moins important que les autres causes.
La synthèse suivante me semble être un bon reflet de l'état actuel de la science à ce sujet : « Risk to pollinators from anthropogenic electro-magnetic radiation (EMR): Evidence and knowledge gaps » (ref 5)
Références :
(1) https://academicjournals.org/journal/JHF/article-full-text-pdf/B0ABD121249
(3) https://www.currentscience.ac.in/Volumes/113/12/2275.pdf
(4) https://www.afm-sicem.fr/images/images/pdf/etude_koblenz_FR.pdf
(5) https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0048969719337805#bb0045