Sauver les abeilles

22/01/2024

Sauver les abeilles

Pourquoi les abeilles disparaissent ? ébauche de solutions avec une apiculture durable.

Non, je ne suis pas persuadé que notre abeille à miel soit réellement menacée de disparition... et si elle s'affaiblit, ce n'est peut-être pas uniquement pour les raisons couramment énoncées... constat, et pistes pour tenter de faire différemment.

 

Pourquoi je pense que l'abeille n'est pas réellement menacée?

Parce que l'homme a domestiqué l'abeille à miel, appelée Apis mellifera. Apiculteurs, pour beaucoup, nous savons élever des reines, faire de la sélection génétique, féconder les reines en laboratoire (pour les plus experts), nourrir les abeilles si elles ont faim... et les soigner si elles sont malades.

 

Donc nous savons renouveler notre cheptel en cas de pertes. Pertes dues aux pesticides qui peuvent les intoxiquer, à la diminution des espaces fleuris, à la multiplication des prédateurs, aux ondes magnétiques (cette dernière cause reste encore à prouver, lire mon étude). Et pour les apiculteurs qui ne maîtrisent pas les techniques pour renouveler leur cheptel, ils peuvent acheter des reines et des essaims à des apiculteurs spécialisés dans l'élevage.

 

Attention, je ne nie pas le problème des pertes liées aux causes que je viens d'énumérer, les temps sont durs pour les abeilles, c'est vrai. Bien qu'elles se soient adaptées, sans notre aide, depuis des millions d'années, elles ont de plus en plus de mal à le faire dans un environnement qui change trop vite en raison de notre activité humaine. Les apiculteurs sont donc indispensables en ce moment, pour les aider. Il y a encore cinquante ans nos “anciens” comme on dit, pouvaient souvent observer des colonies d'abeilles qui vivaient en pleine nature (dans des vieux troncs d'arbre par exemple, pas dans des ruches), des essaims sauvages! Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Et nous, apiculteurs, faisons malheureusement un peu partie du problème...

 

  • Professionnels, nous voulons du miel, pour le vendre et en vivre. Quoi de plus normal ?
  • Amateurs, nous voulons du miel, pour notre propre consommation et pour faire plaisir à nos proches. Quoi de plus normal ?

 

Le problème, c'est que pour se rémunérer, ou pour se régaler, la grande majorité d'entre nous entrons dans une logique qui tend à fragiliser l'abeille. Je pense que, sans forcément le savoir, nous affaiblissons les abeilles et les rendons trop dépendantes de nos soins. Pourquoi ? sans énumérer toues les causes, en voici quelques unes:

 

  1. On sélectionne des abeilles de plus en plus douces (pour ne pas se faire piquer) et aux rendements en miel élevés, un peu comme la vache Holstein... L'archétype en est l'abeille Buckfast. Cette abeille est peu rustique. Est-elle la mieux à même de lutter contre les prédateurs si elle est trop douce ? La question reste ouverte.
  2. Les abeilles créées par l'homme produisent beaucoup de miel, miel dont elles se nourrissent l'hiver.... elles sont en effet très gourmandes. Il faut donc beaucoup les nourrir de sucre, en substitution du miel qu'on leur prend. Or le sucre est moins bon pour leur santé que le miel, il écourte leur espérance de vie. Et interrogation subsidiaire... à force de les nourrir, ne pourraient-elles pas évoluer pour finir par ne plus butiner ? je me pose la question.
  3. Les abeilles butinent dans un rayon de trois kilomètres de leur ruche, elles doivent donc s'adapter à leur environnement direct qui offre rarement de la nourriture en continu de mars à septembre. Alors pour produire plus de miel on déplace les ruches (la transhumance) pour forcer les abeilles à récolter le plus longtemps possible, quitte à les épuiser.
  4. On soigne les abeilles contre le varroa, acarien qui les affaiblit jusqu'à venir à bout d'une colonie. A l'aide d'amitraze, produit phytosanitaire antiparasitaire très répandu (ou d'acides, en apiculture biologique), on les soigne sans améliorer leur système immunitaire, ce qui les rend de plus en plus dépendantes. Sans compter que cet acarien s'accoutume à l'amitraze, ce qui pousse certains à augmenter les doses de médicament, ou la durée des traitements.

 

Le constat fait mal mais que faire ? Quand on doit en vivre c'est extrêmement complexe, voire impossible. Avec Happycultures j'essaye, très modestement, d'expérimenter des pistes, avec un modèle économique différent pour essayer de sortir de cette impasse. Je n'aborderai pas le modèle économique dans cet article, mais plutôt les pistes que ce modèle, je l'espère, permet d'expérimenter, d'explorer:

 

Sauver vraiment les abeilles en essayant de leur rendre leur autonomie... vers une apiculture durable, plus vertueuse:

 

  1. Plutôt que de contribuer à l'expansion d'une abeille domestique sélectionnée pour être douce et produire beaucoup, favoriser la sélection naturelle de l'abeille noire endémique de nos régions, elle est plus rustique.
  2. Pour qu'elles soient en meilleure santé, laisser un maximum de miel aux abeilles en ne récoltant pas l'intégralité de ce qu'elles stockent dans les hausses.
  3. Pour accompagner la sélection naturelle, favoriser l'autonomie des colonies en limitant les suppléments alimentaires (grâce au point 2.) et les soins sanitaires, quitte à avoir des colonies moins productives... quitte à perdre des colonies.
  4. Pour aider la sélection naturelle, élever des reines à partir de souches qui ont prouvé leur résilience (celles qui réussissent à vivre avec les points 1. à 3.)... tout en laissant place à un peu d'hybridation pour favoriser la diversité, et donc la capacité d'adaptation des abeilles.
  5. Pour éviter la surpopulation de ruches sur un territoire, en considération des ressources nectarifères disponibles, limiter le nombre de colonies par rucher.
  6. Pour ne pas surexploiter ni épuiser les colonies, ne pas déplacer les ruches trop loin de leur territoire d'origine.
  7. Réfléchir à un label « apiculture durable » (Déméter s'en rapproche).

 

Sans être des solutions miracles, je pense que ces pratiques peuvent contribuer à rendre aux abeilles leur autonomie, en les aidant à s' adapter à un environnement qui change très vite. Mais comment vivre de ce modèle ?

Modèle extensif, il faut éduquer les consommateurs sur la réalité de l'apiculture, pour les orienter vers une consommation plus raisonnable (moins et mieux), en connaissance de cause. Les prix du miel labellisé “durable” devront augmenter pour compenser une production plus faible (les étiquettes sur les pots doivent aussi être plus claires); Ces prix financeraient la sauvegarde des abeilles puisque le miel vendu sera produit plus "vertueusement". Le parrainage de ruches, l'idée est bonne, mais si on pousse un peu la réflexion... pourquoi payer pour parrainer des ruches gérées dans un modèle souvent intensif...? Le vrai parrainage ne serait-il pas d'acheter son miel “durable” plus cher en soutient d'une filière qui prendrait soin de l'abeille pour qu'elle retrouve son autonomie...? J'avoue cependant que l'augmentation du prix ne serait pas forcément suffisante pour rendre le modèle viable, il faudrait sans doute que les apiculteurs cherchent aussi à diversifier leurs sources de revenus... Comme vous le voyez, ce sont des pistes pour réfléchir... je n'ai pas LA solution.

J'ai abordé dans cet article un problème très complexe dont nous, apiculteurs, sommes malheureusement prisonniers. Comme une fuite en avant, nous devons réfléchir à des voies de sorties vers du mieux pour tous, sans condamner telle ou telle pratique, car n'oublions pas quand même que grâce aux apiculteurs, nous avons toujours des abeilles... et du miel.